Association Francophone de FOrmation et de Recherche en THErapie Comportementale et Cognitive
Membre de l'European Association for Behavior and Cognitive Therapie
La loi du 9 août 2004 et le projet de décret proposé par les ministères constituent une réelle avancée pour la protection et l'information du public. Nous apprécions la concertation actuelle ainsi que l'écoute de nos interlocuteurs autour de Monsieur Bernard BASSET dont le pilotage, très professionnel, œuvre dans le sens d'avancées prenant en compte toutes les sensibilités concernées.
L'AFFORTHECC, à travers son expérience de la formation, de la formation post-grade (avec un champ d'action institutionnel -public et privé- qui dépasse largement l'audience de ses membres) et sa dimension internationale (francophone), souhaite souligner le reste du chemin à parcourir pour continuer vers les objectifs de protection et d'information du public.
Il nous semble que l'obtention et l'usage du titre de "psychothérapeute" nécessite :
- Une formation à la psychopathologie,
- Une formation à la pratique des psychothérapies,
- Une formation continue et une supervision validées,
- Et le respect d'un code d'éthique (ou de déontologie ?).
Toutes les informations sur ces critères doivent être accessibles au public pour sa réelle information et sa protection.
La psychothérapie se situe clairement pour nous dans le domaine du soin.
Pouvoir user du titre de "psychothérapeute" nécessite donc de pouvoir satisfaire à l'obligation de moyens requise pour tous les soins
Généralités :
Il faut donc souligner d’emblée que ce projet représente la seule avancée dans le domaine d’une législation nécessaire de la profession de psychothérapeute. Il permettra une protection du public, qui n’existait pas auparavant. Il faut également féliciter le législateur pour le caractère pluraliste du nouveau master de psychothérapie qui abordera aussi bien les thérapies analytiques, que cognitives et comportementales, systémiques ou intégratives. Il est important de souligner l’adjectif scientifique s’appliquant aux thérapies retenues, qui fait reposer les psychothérapies sur des validations par une démarche scientifique, ce qui les place au même rang que les traitements biologiques. En effet, l’inflation des traitements pharmacologiques est patente dans notre pays alors que les psychothérapies sont insuffisamment développées, en particulier les psychothérapies validées empiriquement. Les patients se plaignent en particulier de séances de thérapie durant fort peu de temps (15-20 minutes), et qui consistent le plus souvent en une simple écoute des difficultés de chacun. Le système du paiement à l’acte (pour les médecins) encourage cette brièveté qui n’est pas validée scientifiquement. En effet les séances de thérapie durent habituellement de 30 minutes à une heure dans la plupart des formes de psychothérapies validées (rapport INSERM, 2004); elles peuvent être plus longues pour certains troubles (TOC, troubles de personnalité, etc.). On peut observer que le paiement à la durée de l’acte qui est actuellement en place en Belgique et en Suisse permettrait l’amélioration de la relation et de l’alliance thérapeutiques et faciliterait la mise en place de thérapies spécifiques répondant aux besoins de chaque problème psychologique et de chacun.
L’adjectif scientifique est aussi une limite qui va empêcher les dérives sectaires et distingue clairement la psychothérapie des influences psychologiques religieuses ou philosophiques qui ont leurs domaines propres.
Le master de psychopathologie :
La création de ce master sur deux ans pose le problème de son organisation concrète.
- Où : il semble logique que ce soit les facultés de psychologie et/ou les facultés de médecine qui les organisent.
- Quel contenu : On peut imaginer une première année théorique abordant l’histoire des grands courants, les différentes tendances de la psychothérapie moderne, la biologie et les neurosciences, l’épidémiologie, les classifications, les modèles psychologiques et biologiques, et les méthodes diagnostiques. De même, des bases de méthodologie de la recherche permettant de lire et de critiquer un article scientifique sur le sujet, devraient être enseignées.
On peut envisager une deuxième année faite de stages pratiques dans les quatre grands types de psychothérapie. Ce qui pose le problème des conventions de stage entre les universités et des structures privées et/ou publiques et également les associations de psychothérapeutes reconnues par le ministère.
- Qui sera garant du pluralisme ?
Il faut absolument éviter de revenir à ce que nous avons connu. Des facultés de psychologie tenues par des psychanalystes où la seule information donnée sur les autres courants en particulier les TCC consistait en un cours de deux heures par un psychanalyste effectuant une caricature malveillante de la pratique des TCC. Il faut donc que chaque approche soit présentée avec le même volume de cours ou de pratiques par des experts des quatre champs, en toute liberté et sans la présence d’un censeur de l’autre bord supposé introduire la discussion. En revanche, il n’est pas interdit de penser que des réunions pluridisciplinaires aient parfois lieu, mais il vaut mieux commencer par une présentation complète et « experte » de chaque approche.
Il faut donc songer à avoir une instance qui soit chargé d’appliquer le principe de pluralisme, qui est réclamé actuellement aussi bien par les étudiants que par les patients lassés de se voir présenter plus de la même chose : un écoute polie et brève.
Il faudra également définir soigneusement ce que recouvre le terme "intégratif", surtout si on l'associe à "scientifique". En effet, dans ce domaine existent des approches scientifiquement validées, d'autres sont en voie de développement. Il convient donc de ne pas se servir de ce terme sans le définir.
- Par qui : il nous semble donc logique que les enseignants comprennent également, en nombre significatif, des thérapeutes formés et reconnus dans les approches psychothérapeutiques en question. On pourrait même envisager des consultations ouvertes au public dans les départements de psychologie des universités, avec des enseignants ayant une "triple mission" de soins, de recherche et d'enseignement. Cela pourrait-il contribuer, partiellement, à atténuer le manque de thérapeutes accessibles et faire progresser le niveau des publications françaises dans le domaine scientifique international (une étude de 2001 place la France au 20ème rang pour ce qui concerne les occurrences d'articles écrits par des chercheurs français dans les revues internationales, juste derrière l'Inde) ?
- Quelles seront les équivalences pour aborder les deux années de master en particulier pour les médecins non psychiatres, les infirmiers et d’autres professions de santé ? En principe, un master correspond à Bac+5 : l’entrée devrait logiquement se situer à Bac +3 : mais quels types d’études seraient requis ? Et qui validerait les équivalences ?
Ces quelques réflexions ne sont que des propositions pour aider à la réalisation d'un master en psychopathologie.
La formation spécifique aux psychothérapies : les TCC
Il faut songer dès à présent à l’articulation du master, ou pré requis, à la formation du psychothérapeute. Envisageons les TCC. Actuellement, il existe deux types de formations : universitaires par les DU et DIU (Lyon et Chambéry, Paris, Marseille, Reims, Montpellier, Bordeaux, Toulouse, Clermont Ferrand, Saint Etienne et Nice) et des diplômes délivrés par des associations. Certains DIU durent trois ans (Lyon 1 et Université de Savoie) d’autres seulement un an (Montpellier par exemple). Il faudrait donc harmoniser le cursus en terme de durée et de contenu. Le DIU de Lyon associe une faculté de médecine (Lyon) et une faculté de psychologie (Chambéry) et il est fondé sur les recommandations de l’EABCT (Association Européenne de Thérapie Comportementale et Cognitive). L'EABCT regroupe les différentes associations européennes en thérapie comportementale et cognitive et organise chaque année des congrès en lien avec l'international. Il serait souhaitable, dans la perspective d’une construction européenne avec les compétitions futures pour l’installation de psychothérapeutes venant d’autres pays de l’UE, que les standards de formation fussent alignés vers le haut. L’EABCT recommandait, en 2002, de prendre en compte les six point suivants :
1. Formation
450 heures dont 200 par un thérapeute compétent et reconnu par ses publications scientifiques internationales.
2. Développement des compétences psychothérapiques
200 heures
3. Supervision
200 heures par un thérapeute compétent et reconnu.
Au moins huit cas supervisés couvrant trois types de problème
4. Mémoire
Quatre cas au moins (2000-4000 mots)
5. Accréditation par une association
Formation ci-dessus suivie de formation continue durant toute la vie professionnelle
6. Thérapie didactique des thérapeutes
Le choix est laissé à chaque pays (pas d’obligation)
Au DIU de TCC de l’Université Lyon 1 et de l'Université de Savoie, huit cas écrits de patients complètement traités sont demandés. Une supervision constante de l’étudiant en groupe et/ou en individuel est prévue pour ces huit cas qui doivent être validés par un superviseur agréé qui pratique les TCC et possède lui même le diplôme. Au cours de cette supervision, le thérapeute novice peut aborder les difficultés personnelles qu’il rencontre avec les cas.
On peut décrire (Cottraux, 2004) trois niveaux de supervision correspondant à des degrés croissants d’implication dans des troubles psychopathologiques :
- Le niveau I : correspond à la thérapie comportementale et cognitive des troubles anxieux et à la réhabilitation des troubles psychotiques
- Le niveau II : correspond à la thérapie cognitive des états dépressifs
- Le niveau III : correspond à la prise en charge du stress post-traumatique et des troubles de la personnalité. C'est à ce niveau que l’implication personnelle du thérapeute et les difficultés relationnelles sont le plus importantes.
On a insisté sur un certain nombre de points communs entre la psychothérapie et la supervision :
- La relation de collaboration (l’alliance)
- Le fait d’utiliser des critères objectifs de progrès
- L’équilibre des pouvoirs et la maturité de la relation
- L’atmosphère d’optimisme et d’encouragement
En revanche la thérapie et la supervision se différencient clairement sur trois points :
- la supervision n’est pas centrée sur le sujet,
- des superviseurs multiples sont utiles alors qu'il est en général contre-productif d'avoir plusieurs intervenants dans la thérapie,
- la relation personnelle peut devenir amicale ou institutionnelle.
Et il ne s’agit pas de faire la thérapie du supervisé quoiqu'il ait eu au cours de sa formation à expérimenter les approches utilisées.
Il nous semble important que les standards européens soient appliqués dans l'enseignement des TCC (alignement vers le haut).
L’attestation sur l’honneur :
L’attestation sur l’honneur d'une formation à l’une des quatre tendances, pour les "autres professionnels" (les "ni / ni") apparaît étrange. En effet, les universités délivrent des diplômes et les associations des attestations à ceux qu’elles valident (ou les inscrivent sur des annuaires professionnels). Les déclarations devraient donc être vérifiables dans leur réalité.
Pour ce faire, il serait utile que les diplômes qui répondent aux critères soient reconnus, qu'ils soient délivrés par les universités (par exemple DIU) aussi bien que par des associations.
La période transitoire :
Il faut définir comment seront organisées les commissions et les critères qu'elles appliqueront. On peut souhaiter qu’elles reflètent fidèlement et proportionnellement les quatre tendances mentionnées ci-dessus et validées scientifiquement : thérapies analytiques, TCC, thérapies systémiques, thérapies intégratives.
Y aura-t-il des équivalences de droit, comme nous le souhaitons, du master en psychopathologie pour les psychiatres et psychologues ?
Sur quels critères seront définis les VAE et par qui ?
Le maintien de l'accréditation, la formation continue et la supervision
"On n'est pas psychothérapeute à vie". Doivent donc être définis, approche par approche, les modalités de "formation continue", d'accréditation, nécessaires au maintien de l'inscription en tant que psychothérapeute.
La formation continue et la supervision pourraient s'effectuer par des associations de psychothérapeutes accréditées par les instances officielles et les universités.
C'est déjà le cas pour les TCC où formation continue et supervision sont effectuées depuis longtemps par l'AFTCC , l'AFFORTHECC et d'autres associations locales, l'université ayant surtout le rôle de former par les DU et DIU les psychothérapeutes, et un rôle moindre dans la formation post-grade.
Les associations pourraient passer contrat avec les Universités.
Ce label de qualité serait un frein aux abus.
Un code d'éthique ou de déontologie pour les psychothérapeutes
Rendre publique un tel code, comme il en existe pour certaines professions et dans certains pays, contribuerait grandement à la protection du public.
Ceci est particulièrement nécessaire pour des "psychothérapies" utilisant le toucher des patients. Ceci allant de certaines techniques de relaxation (ou, par exemple, le toucher, codifié et convenu à l'avance, peut vérifier la détente) à des approches aux limites du "psycho-corporel".
Peut-être serait-il utile de réfléchir, à terme, à une juridiction professionnelle (car l'exercice de la psychothérapie s'intègre dans un exercice professionnel) qui règlerait les problèmes sans avoir toujours recours aux tribunaux.
Conclusion :
Cette réforme est importante car son but est de protéger, d'informer le public et d'accroître la qualité des soins. Il faut arriver à un consensus progressif des différents courants psychothérapiques sur les critères nécessaires, et avoir l'opinion des associations de patients.
Continuer la concertation, ajouter et définir les formations spécifiques aux psychothérapies, la formation continue, la supervision, l'accréditation et les règles de "bonne pratique" seraient les compléments qui nous semblent indispensables pour atteindre les objectifs souhaités en définissant, pour chaque étape, les modalités qui aboutiront aux décrets et règlements à venir indispensables.
Références :
1 Cottraux J. Formation et supervision dans les thérapies comportementales et cognitives (TCC) Psychothérapies, 2004, 3, 151-159.
2 Lehmann P. Respecter l'éthique : cela s'apprend, cela s'entraîne !. Revue Francophone de Clinique Comportementale et Cognitive, 2005, X, 3, 17-24.
Document rédigé par le Conseil d’Administration de l’AFFORTHECC
Dr Jean Cottraux et Dr Patrick Lehmann