Association psychanalytique de France
24, place Dauphine
75001 Paris
Paris, le 6 février 2006
Monsieur le Docteur Bernard Basset
Ministère de la Santé et des Solidarités
Direction Générale de la Santé
14, avenue Duquesne
75007 Paris
Cher Monsieur,
Répondant à votre proposition faite à la réunion de concertation à laquelle vous nous avez conviés le 10 janvier, je vous fais part , au nom de l’association de psychanalystes que je représente, des observations qu’appelle l’avant-projet de décret relatif à l’usage du titre de psychothérapeute .
A. Observations, tout d’abord, sur lesquelles la plupart des associations de psychanalystes de filiation freudienne manifestent un accord, après qu’ait été mené un travail de réflexion commune :
I. L’article 52 de la loi impose la nécessité d’une formation théorique et pratique en psychopathologie clinique. L’extension à la formation en psychothérapie, visée par le décret dans les articles 2.II et 8 du projet, est contestable.
II. La formation en psychopathologie clinique devrait être confiée explicitement et exclusivement à l’Université, plus précisément aux équipes pédagogiques et aux laboratoires de recherche en psychopathologie clinique.
III. L’article 8 devrait être modifié car il appelle trois objections majeures :
1. L’article 52 de la loi précise qu’un décret définira « les conditions théoriques et pratiques en psychopathologie clinique » . L’extension aux contenus de la formation en psychopathologie et en psychothérapie, inscrite dans le projet de décret, excède le texte de la loi et appelle des objections .
2. Le contenu théorique et pratique des formations en psychopathologie est du ressort exclusif des spécialistes compétents de la discipline. L’Etat n’a compétence ni pour intervenir au niveau des contenus des savoirs ni pour en décréter la valeur scientifique.
3. Les théories et pratiques dans le champ de la psychopathologie sont multiples et en évolution constante. Réglementer à partir de l’état présent constituerait un facteur d’immobilisme contraire à l’esprit et au travail scientifiques.
B. Au-delà de ces observations , partagées donc par un grand nombre d’ associations de psychanalystes, nous souhaitons insister en notre nom sur quelques points :
- l’accent mis sur le titre de psychothérapeute (avec la dimension de démarche volontaire qui sera exigée des professionnels voulant faire usage de ce titre ; cette démarche volontaire a notre accord) nous semble en grande partie détourné par la tentative de voir se constituer (de fait et avec ce qu’on peut imaginer dès maintenant quant aux futurs recrutements de professionnels) une nouvelle filière professionnalisante. C’est là l’une des ambiguïtés majeures du texte de l’avant-projet.
- l’usage détourné qui peut être fait de la notion d’ « association de psychanalystes » et de « l’inscription à son annuaire », de même que la composition imprécise de l’instance départementale devant laquelle seront déposées les demandes d’inscription au « registre national des psychothérapeutes », restent des problèmes non résolus.
- l’introduction par la loi d’une « psychopathologie clinique » pose bien plus de questions (quant à sa définition et à son apparition nouvelle , quant à son champ d’extension et aux principes qui la fondent) que le mot souhaite sans doute en résoudre . D’autant que l’avant-projet de décret parle tantôt de « l’attestation de la certification de la formation en psychopathologie clinique » (articles 2 et 7) tantôt de « diplômes de formation » (article 9). Cette nouveauté, pour imprécise qu’elle soit, doit être soumise à plus ample réflexion, surtout lorsque est évoqué, pour la formation qui en permettrait l’ acquisition (article
, « un niveau master » . Le problème de positionnement que prendrait celui-ci par rapport aux masters existants nous semble concerner au premier chef les universitaires (de psychologie et de psychiatrie, car il paraît très probable que la nouvelle loi et son décret d’application vont s’inscrire dans la mise en place d’un futur plan de santé mentale). Ceux-ci sont, à notre sens, les plus à même de nous éclairer sur les enjeux actuels de leurs disciplines et sur les perspectives qu’ils laissent entrevoir.
- nous sommes très attentifs, en tous cas, à l’indispensable séparation entre formation en psychopathologie, qui doit revenir à l’Université – là où cette formation se fait déjà – et formation à la psychothérapie dont l’Université ne peut ni se charger ni se montrer garante, du moins pour ce qui concerne la « psychothérapie psychanalytique ». La seule sur laquelle, en fait, nous sommes fondés à prendre position.
Car celle-ci, pour autant qu’elle est d’inspiration psychanalytique freudienne et qu’elle reconnaît cette filiation et cette dette (c'est-à-dire qu’elle met le maniement du transfert, le travail avec les résistances , la régression et la tâche interprétative au ressort d’un acte qui tient compte de la réalité de l’inconscient) ne peut se voir réduite à l’acquisition de savoirs : elle passe nécessairement par une première expérience personnelle et approfondie de la psychanalyse et par la reconnaissance progressive, longue et difficile, d’une part inconsciente agissante dans le travail du thérapeute, dans ce qui le lie à son patient. C’est cette longue et difficile acquisition, avec les changements qu’elle suscite chez le psychothérapeute, qui nous interdit de considérer l’Université comme garante de son exigence, surtout quand le champ universitaire se voit soumis aux luttes d’influences et d’idéologies, luttes recouvertes trop souvent par l’aspiration à un éclectisme qui se pare ingénument de « scientifique ». C’est dire, autrement, notre très grande réserve devant ce qui commence à apparaître et à se dénommer « masters de psychothérapie », en mettant l’éclectisme, justement, au programme de leur recrutement.
La « psychothérapie psychanalytique » est un travail de psychanalyste. Quelles que soient les questions, nombreuses, sérieuses et actuellement en débat, qu’elle pose au psychanalyste, c’est dans et depuis la formation de celui-ci – dans les associations où il échange et travaille, associations garantes, elles, de sa formation – qu’elles peuvent garder leur fécondité et leur pertinence.
En vous remerciant pour le travail – difficile, nous n’en doutons pas – auquel vous êtes attaché, nous vous assurons, cher Monsieur, de toute notre considération.
Pour le Conseil d’administration de l’APF
le Président,
André Beetschen