(a)lpha écrit au Ministre de la Santé
Saint Laurent – Nouan, le 6 février 2006
Monsieur le Ministre,
Le gouvernement auquel vous participez a fait le choix de développer une politique de la « santé mentale » qui abolit le sujet de l’inconscient et privilégie l’approche cognitivo-comportementale de la souffrance psychique. Cette démarche témoigne au mieux d’une méconnaissance du psychisme, au pire d’un désir de n’en rien vouloir savoir.
Lorsque Bernard Accoyer a déposé, fin 2003, devant le Parlement, son projet d’amendement, il a inauguré une série dont on a pu croire qu’elle trouvait son issue dans le vote de l’article 52 de la loi du 9 août 2004 sur la Politique de Santé Publique. C’était sans compter sur la farouche volonté gouvernementale de mener à terme un projet qui se dessine dans de nombreux rapports, de Piel-Roelandt à Cléry-Melin, de donner à ce texte de loi les moyens de son application et sert ses visées sécuritaires.
La dynamique instituée par les recommandations que développent ces rapports tend à effacer la spécificité de la psychè humaine et à abolir la dimension unique du sujet, au nom d’un projet orienté par le scientisme renaissant qui ravale l’être humain à ses comportements, instituant le furor sanandi, condamné par Freud puis bien d’autres, en règle de gouvernement et brandissant la bible DSM-IV.
Il apparaît aujourd’hui, notamment avec l’ouverture récente d’une concertation sur l’avant-projet de décret d’application de l’article 52, que l’horizon est balisé de telle sorte qu’au bout du compte la dimension la plus intime de l’être humain sera cernée par une prise en charge autoritaire.
Dans cette hypothèse, c’est d’une course vers le pire que vous serez comptable.
(a)lpha – association pour la laïcité de la psychanalyse travaille depuis deux ans à développer une réflexion autour de la spécificité de la psychanalyse, énoncée par Freud dès 1926 dans La Question de l’Analyse profane et reprise par Jacques Lacan au fil de son enseignement, spécificité selon laquelle faire une psychanalyse est le point d’ancrage premier de la formation du psychanalyste, qui ne saurait par ailleurs être évaluée par l’université mais connaît des procédures de reconnaissance internes à chaque Ecole. C’est précisément parce que nous avons fait l’expérience de la cure psychanalytique et que celle-ci a conduit beaucoup d’entre nous à occuper la position du psychanalyste, que nous sommes en droit de dire qu’aucune formation de type universitaire ne formera jamais des psychothérapeutes ou des psychanalystes. A fortiori si elle est inscrite sous le chef de la « santé mentale ».
La psychanalyse se range du côté du un, pas du côté du tous, sans standard, mais pas sans principes. Formater la formation du psychanalyste ou du psychothérapeute selon des critères scientifiques n’a pas de sens, à moins de faire de la psychanalyse une science qu’elle n’est pas. La parole délivrée dans la cure ne répond à aucune règle pré-construite au sujet, du fait qu’il y a de l’inconscient et que l’association libre est la pierre angulaire du dispositif psychanalytique. On ne sait qu’après-coup quel parcours on a construit avec son psychanalyste. Et seul le sujet peut rendre compte de l’expérience unique dans laquelle il a appris à connaître ce qu’il en est de son désir.
La psychanalyse est et demeurera, quoiqu’en veuille faire le législateur, une expérience de la liberté dans le langage. « Il n’existera jamais là aucun livre de recettes » selon la formule récente de Jean-Pierre Klotz, récemment encore Directeur de l’Ecole de la Cause freudienne. Pas même si un projet politique érigeait en règle universelle de bonne conduite le silence et la mort de la pulsion, par l’entremise de la prescription médicale, de la posologie médicamenteuse et de la réadaptation comportementale. « Seule la psychanalyse est à même d’amener le sujet à appréhender et à assumer son style de vie au-delà de la conformité, du ready-made imposé et de la voie prescrite. » ajoute Jean-Pierre Defieux.
Aussi (a)lpha répète ici, à la suite de quelques autres, sa désapprobation vis-à-vis du texte du texte de l’article 52 de la loi du 9 août 2004 sur la Politique de Santé Publique et s’élève également contre l’avant-projet de décret qui n’est rien d’autre qu’un dangereux non-sens.
La prochaine réunion de concertation prévue au Ministère le 21 février prochain s’en tiendra à l’étude de l’avant-projet de décret sur le titre de psychothérapeute. En ce sens, elle n’aura pas pour objectif de ruiner les travaux de générations de praticiens de la chose psychique. Mais elle marquera une nouvelle étape dans cette tentative contre laquelle nous nous élevons.
Notre association attire de ce fait votre attention sur ce que Freud énonçait dans La Question de l’Analyse profane, repris par Lilia Mahjoub, Présidente de l’Ecole de la Cause freudienne, le 04 février dernier, lors de la journée de travail organisée par l’AFFOP et le SNPPsy : la question n’est « pas de savoir si l'analyste est pourvu d'un diplôme médical, mais s'il a acquis la formation spéciale qui est nécessaire à l'exercice de l'analyse. On peut rattacher à cela la question qui a été discutée avant tant d'ardeur par les confrères : quelle est la formation la plus appropriée pour un analyste ? Je pensais, et je soutiens encore aujourd'hui, que ce n'est pas celle que l'université prescrit au futur médecin.», de sorte que les charlatans naguère stigmatisés se trouvent de fait du côté de ceux qui n’auraient pas fait l’épreuve de l’expérience psychanalytique et produirait néanmoins la plaque que Monsieur Accoyer redoutait tant.
Le titre ne fera pas le bon psy.
Les Ecoles de Psychanalyse n’ont jamais cessé, au fil de leur histoire, d’être les organes de formation que vous appelez de vos vœux et seriez bien inspiré d’entendre.
Notre association vous demande donc de prendre le temps de faire toute la place nécessaire aux représentants des Ecoles qui seraient en mesure de vous éclairer sur la véritable nature de nos pratiques, de vous ranger à l’avis de celles qui vous démontreront que ce projet de décret est inepte et vous enjoint de prendre toute la mesure des choix que vous opérez.
Votre responsabilité serait lourde s’il advenait que votre gouvernement décidât de remettre aux mains d’experts de la « santé mentale » la souffrance psychique des sujets. Le gouvernement donnerait alors raison à Jacques Lacan qui écrivait, comme le rappelait dernièrement Marie-Hélène Brousse, Présidente de l’Ecole Européenne de Psychanalyse : « Le développement qui va croître en ce siècle des moyens d’agir sur le psychisme, un maniement concerté des images et des passions dont on a déjà fait usage avec succès contre notre jugement, notre résolution, notre unité morale, seront l’occasion de nouveaux abus de pouvoir. »
Je me tiens à votre disposition dans l’hypothèse où vous souhaiteriez accorder à (a)lpha une audience afin que nous développions devant vous tel ou tel point de cette lettre et vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.
Pour (a)lpha, le Président,
Benoit Drunat